À savoir

Voix

David Stern (chef d’orchestre)

Vous souvenez-vous de votre première rencontre ou d’une expérience particulière avec la musique de Telemann?

Ma première rencontre avec Telemann s’est produite à travers la suite en la mineur pour flûte à bec, jouée sur flûte traversière par Jean-Pierre Rampal. Bien-sûr, son interprétation du morceau était très romantique, mais l’accent sentimental élégant des danses allait bien avec le style de Rampal, et il a mis par là en valeur beaucoup de merveilleuses émotions intrinsèques à l’œuvre. J’étais à l’époque un jeune étudiant et j’accompagnais au piano une série de musiciens. Cette œuvre devint une des premières mélodies obsédantes que je n’arrivais plus à me sortir de la tête. Aujourd’hui, bien-sûr, je la jouerais moi-même sur la flûte à bec, mais quand-même, j’aurai toujours Jean-Pierre dans l’oreille.

Quelle(s) composition(s) de Telemann emmèneriez-vous sur la fameuse île déserte?

Bien que j’adore diriger les œuvres vocales de Telemann, si je devais me décider pour un morceau, je prendrais la «Musique de Table» de Telemann. Cette collection est exemplaire de l’imagination apparemment inépuisable et de la riche variété de Telemann. Il y a des thèmes entiers qui dérivent d’une octave, ainsi que de merveilleuses combinaisons d’instruments différents, et on est à chaque fois surpris des changements qui s’opèrent d’un mouvement à l’autre. Je crois que l’enregistrement de Reinhard Goebels de la «Musique de Table» reste l’un des plus réussis et il trouverait indiscutablement place dans mon sac à dos pour ce voyage vers l’île déserte.

De quoi aimeriez-vous discuter avec Telemann devant un verre de vin?

Il y aurait deux choses dont j’aimerais discuter avec Telemann devant un très bon verre de vin – car c’était un bon vivant -. Comme nous le savons, la longévité de Telemann ainsi que sa discipline de

 

travail, l’ont conduit à composer un grand nombre d’œuvres. Ce que je trouve remarquable est sa manière de façonner le passage du baroque au style galant du classique précoce, ce qui est particulièrement manifeste dans des morceaux comme «Ino» ou «Le Jour du Jugement». J’aurais donc beaucoup aimé discuter de son rôle dans ce changement d’époque et lui demander s’il avait l’impression de suivre une nouvelle tendance ou plutôt d’y participer, de créer un nouveau principe de composition. Son rapprochement avec le nouveau style, cependant, se retrouve plutôt dans ses œuvres tardives, comme s’il prenait conscience du développement vers une nouvelle énergie et clarté de la sonorité. Considérait-il cette tendance comme un progrès, ou bien réalisait-il simplement les souhaits du public de l’époque? D’autre part, j’aimerais bien parler de la sensibilité de Telemann, l’ayant conduit à composer dans de nombreuses langues différentes au sein même d’une œuvre, par exemple dans son «Orphée». Sa flexibilité dans la composition se manifeste par exemple quand il passe du français à l’allemand puis à l’italien. Plus d’une fois, il donne l’impression d’utiliser les langues avec une certaine forme de sarcasme, mais il est possible qu’il s’agisse seulement d’une interprétation moderne de son procédé. En tout cas, j’aimerais bien connaître sa position sur ce thème.

Qu’est-ce que Telemann possède que les autres n’ont pas?

Comme je l’ai déjà évoqué, je trouve que le talent de Telemann se trouve dans la combinaison de son élégante manière d’accentuer les sentiments, de son ingéniosité et de son imagination dans un style d’opéra que l’on retrouve également dans ses œuvres instrumentales. C’était un dramaturge musical, et la variété des couleurs et textures ainsi que l’utilisation abondante de genres et motifs différents lui donnent une saveur musicale que je trouve toujours stimulante.

[Source: Telemann de Magdebourg. Accent musical sur 50 ans. Livret du programme des journées Telemann, entre le 9 et le 18 mars 2012, page 37.]


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